lundi 9 mai 2011

Tab 7




Dessin D.M.




Le Président Colonel ! Colonel !
(Il siffle. Tartignolle arrive, un grand pansement sanguinolent autour du bas-ventre.)

Le Président Qu’est-ce que c’est que cet accoutrement ? Mais bon Dieu ! C’est un pansement ! Que t’est-il arrivé ?

Tartignolle hélas, Maître, la pire des aventures, si vous saviez…

Le Président Et bien, raconte ! Tu te les es prises dans une porte ?

Tartignolle Oh, ce n’est pas un accident, Maître, ce sont ces Dames…

Le Président Qu’est-ce que tu me chantes là ? Leurs Majestés se seraient amusées…

Tartignolle Ho, pas amusées, Maître, elles ne jouaient pas du tout. C’est moi, qui voulait jouer, pas elles ! Hou la la ! pas elles ! Et c’est pour cela que…

Le Président Je ne comprends rien à ton histoire, tête d’âne. Alors essaie d’être plus clair ou tu perdras d’avantage encore !

Tartignolle Que pourrais-je perdre de plus cher, ho ! Mon Maître ! Quelle misère…

Le Président J’attends !

Tartignolle C’est à cause de quelques brins d’herbe qu’une bergère m’a fait manger en présence de ces Dames. A peine les avais-je au fond du gosier qu’un feu dévorant m’incendia où vous savez et je n’avais plus qu’une idée : fourrer, fourrer, fourrer une belle ânesse. Mais, comme vous savez, il n’y a plus la queue d’une femelle de mon espèce à cent lieues à la ronde. Mais il me fallait quelque chose, je n’en pouvais plus ; c’était trop douloureux, ça ne pouvait pas attendre et la folie m’a pris. Je me suis mis à courser ces Dames, bramant comme un malade, jusqu’au château. Il fallait les entendre hurler :
- « Au fou, au satyre, à nos vertus ! Sauvez-nous ! »
Et moi, le feu au ventre, j’avais coincé contre un tas de paille la jeune pucelle que ces Dames pouponnent et qui braillait encore plus fort que les autres.
Ah ! Cette odeur poivrée…

Le Président Ah ! Foutritude ! Tu t’es farci la Princesse ? La prunelle de leurs prunelles, l’étincelle de leurs diamants ? Et tu t’étonnes qu’ils te les aient coupées ?

Tartignolle Si seulement ! Mais non, ils m’ont saisi avant, et le temps que je comprenne, ils me fourraient dans le bec deux olives fumantes que je regrette tant. Et cette douleur d’absence entre les cuisses !

Le Président Oublie-les, elles ne reviendront pas et la vie te semblera désormais comme un long repos fleuri.

Tartignolle Si vous le dites…
 
Le Président re-conte moi cette histoire d’herbes et de folie… Que mijotent ces femelles ?

Tartignolle A ce que j’ai compris, Maître, la reine Rectaversa projette de mettre la zizanie entre les familles royales en livrant la jeune Princesse au Prince Billedacier auquel un breuvage d’herbes magiques aurait été servi. Et je puis témoigner de l’efficacité du procédé !

Le Président ca va, ça va… Est-ce tout ?

Tartignolle Malgré la douleur qui m’égare, je crois me souvenir que le Prince Consort…

Le Président Quoi ? Lui ?

Tartignolle Oui, Maître, Lui ! Emoustillé par l’effet de la plante sur mon sang animal, il a cogité avec la Reine Rectaversa de servir ce soir à toute la noble compagnie un breuvage de belle façon afin que joie règne de par les jeux du sexe !

Le Président Tu me le jures ?

Tartignolle Je l’ai vu lui-même mâchonner quelques feuilles et courser sus au cul de la Reine, puis mettre en branle les soubrettes du château !

Le Président Dieu garde ! Il s’agit de ne point tomber dans le piège de la tisane et, au contraire, d’en tirer profit ! Ah ! Colonel de mon cœur, ne pleure plus la perte de tes saintes burettes, tu seras récompensé de ce sacrifice.

Tartignolle Oh ! mon Maître, vous me comblez ! Et comment…

Le président Nous verrons, nous verrons…

Tartignolle (Broutant de l’herbe) Un bon tient vaut mieux que, deux, tu l’auras…

Le Président (s’approchant du public) Ca y est ! Le monde m’appartient, et la comète aussi ! La Sainte Famille marque enfin mon destin de sa divine patte ! Un demi-siècle à ramper dans les égouts des illusions de la civilisation, à courber l’échine aux sarcasmes des mangeurs d’enfants, à liquéfier mes ambitions aux soleils incandescents de leurs fureurs, une demi-éternité à huiler les rouages de passions assassines, à oindre de par l’Esprit Universel, leurs folies les plus meurtrières, leurs vengeances les plus cruelles, leurs ignominies les plus criantes ! Diplomate zélé au cœur des guerres les plus viandardes, plénipotentiaire inlassable, traçant son chemin sur des monceaux de cadavres, je sais aujourd’hui que je n’ai pas mené en vain cette carrière de Pèlerin de la Paix !Ha ha ha ! La Paix ! A genoux, les crapules, à terre, les pourceaux teigneux, dans la boue du déshonneur, les putes paradantes ! Ah ! Jouissance paroxysmale ! J’ai le cœur qui éclate ! Ca y est ! il ne peut en être autrement, demain matin, au lever du soleil, ils seront tous là, pantelants, désarticulés, terrassés. Sans me salir les mains à leur sale peau de pourceaux, je les aurai menés à s’occire les uns les autres, sans pitié et de toute leur rage de bêtes immondes. Seul, enfin seul maître de l’Univers et de ses dépendances. Pas un insecte dont le destin ne dépende de mon bon vouloir, pas une étincelle de vie qui ne doive sa respiration au souffle de ma volonté !
Mon destin est tracé, il me faut un levier à l’accomplissement du Grand Œuvre.
(Il s’approche du dolmen)

Le Président Ho ! Là-dedans ! Enfants insoumis de nos vœux les plus intimes, n’est-il pas de sorcier parmi vous ?

Gersure (Apparaissant au pied du monument) Doux Seigneur ! Un notable ! Mais, je te reconnais ! N’es-tu pas de ces barbares ?

Le Président Bon Dieu, non ! C’est une confusion, c’est un malentendu…

Gersure Ouais… Je sens dans ta présence comme quelque chose d’infâme… Rentre, camarade, il n’est pas prudent que tu sois vu ici… Ca doit tellement puer, ton truc…


Le Président Je vous jure !

Gersure Ta gueule ! Entre.

(Ils disparaissent sous le dolmen, la nuit se fait.)


Av. Tab 7. Suiv.

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